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 Samadhi Bouddha Statue - Anuradhapura - Sri Lanka  IV-Ve Siècle

ARTICLES

 

Les principales différences entre les enseignements

du Mahayana et du Theravada

Par Bhikkhu Hye Dhammavuddho

 

 

Le Bouddhisme du temps présent peut être divisé entre Théravada et Mahayana (qui inclut le Vajrayana ou Bouddhisme Tibétain) quelque peu de la même manière que nous trouvons dans le Christianisme des Catholiques et des Protestants. Nous devrions étudier en profondeur ces deux enseignements afin de clairement comprendre leurs différences. Certains extrémistes de chaque secte habités d'idées préconçues découragent leurs adeptes d'étudier les enseignements des autres sectes, de la même manière que les extrémistes des autres religions découragent leurs fidèles de lire quelque chose d'extérieur à leur propre « livre saint ». Une telle attitude n'est pas en harmonie avec l'attitude d'ouverture d'esprit du Bouddha telle que nous la rencontrons dans le Kalama Sutta. Si la doctrine de quelqu'un est correcte, il devrait être capable de supporter la comparaison avec les doctrines professées par les autres. Pareillement si les préceptes d'un moine sont purs, il devrait être sans états d'âme concernant le fait que des laïcs peuvent savoir quels sont les préceptes observés par les moines.
Il existe de nombreuses différences entre les enseignements du Mahayana et du Théravada, mais seuls celles qui sont significatives seront abordées ci-dessous.

 

Le Sentier du Bodhisattva vis-à-vis du Sentier de l'Arahant

 

 

 

            Ceci constitue la différence la plus importante entre les enseignements du Mahayana et du Théravada, le premier défendant le Sentier du Bodhisattva tandis que le second prône le Sentier de l'Arahant. Les Mahayanistes prétendent que le Sentier du Bodhisattva est bénéfique à la fois pour soi-même et pour autrui (cultiver le sentier soi-même et enseigner aux autres ce sentier simultanément) et que le sentier de l'Arahant est égoïste (car il implique de cultiver le sentier pour soi-même uniquement). Les Théravadins toutefois affirment que la chose la plus importante à faire consiste à essayer de se libérer du Samsara et d'enseigner à autrui ensuite. Ceci signifie que dans la perspective des Théravadins, le sentier de l'Arahant n'est pas égoïste, mais que le travail consistant à essayer de libérer autrui devrait être accompli après que l'on s'est libéré soi-même en premier afin d'être qualifié pour cette tâche. Commencer par vouloir enseigner aux autres peut être un prétexte pour éviter d'accomplir le travail consistant à suivre la voie.

 

Si nous examinons le parcours du Bouddha, nous découvrirons qu'avant son illumination il a subi souffrances après souffrances dans sa quête. Aucun autre ascète de tous temps, ne l'a dépassé en souffrances, même si certains ont souffert au même degré. C'est seulement après avoir réalisé l'illumination qu'il a entrepris sa mission d'enseigner aux autres. S'il avait sollicité d'enseigner à autrui au moment même de sa quête, il est logique de conclure que cela l'aurait empêché d'atteindre l'illumination, qui est le but le plus difficile à atteindre. S'efforcer de se libérer soi-même du Samsara va à l'encontre de toutes nos tendances, et, pour commencer nous devrions être capables de nous débarrasser de nos attachements afin de débuter notre quête spirituelle de manière sincère.

 

Quand nous observons la vie des disciples Arahants du Bouddha, nous réalisons que leur pratique était conforme aux instructions du Bouddha, et qu'ils s'efforçaient avec beaucoup d'ardeur de réaliser l'illumination. Le Bouddha lui-même a enseigné à ses disciples de ne pas relâcher leur effort, même pour ceux qui ont atteint un degré de réalisation, le premier, le second ou le troisième (sotapanna, sakadagami, anagami), et ainsi de s'efforcer diligemment jusqu'au bout du sentier, c'est-à-dire l'état d'Arahant. En outre, dans le Dhammapada, verset 166, le Bouddha dit « pour chercher le bien-être d'autrui, tâche grandiose, il ne faut pas négliger son propre but ». Après leur illumination, ils étaient loin d'être égoïstes ; ils unirent leurs efforts avec le Bouddha afin de propager le Dhamma. Après le passage du Bouddha dans le Parinibbana, ces disciples Arahants ont employé tous leurs moyens pour assurer la transmission du Dhamma aux générations futures.

 

Pourquoi le Bouddha a-t-il préconisé à ses disciples l'effort sans relâche, jusqu'à la réalisation de l'état d'Arahant ? L'une des raisons consiste en ce qu'il est impossible, ainsi que l'a dit le Bouddha, pour un être qui ne s'est pas lui-même libéré du Samsara, d'aider autrui à s'en libérer. Une autre raison est que, dans le fond, personne ne peut aider personne. Même le Bouddha ne peut pas nous libérer du Samsara. Personne ne peut nous faire souffrir en dehors de notre « moi » (l'ego) ? C'est seulement quand nous réalisons que le « moi » (l'ego) auquel nous sommes attachés depuis si longtemps, est faux et vide, que nous en serons libérés. Le Bouddha nous enseigne qu'il n'existe point « d'être » à sauver. Pour chacun de nous, toute la création est une fiction forgée par notre mental, tel un rêve, une illusion. Nous réaliserons ce fait quand nous parviendrons à l'expérience de la « cessation », au Nibbana, quand toute création s'effondre et disparaît. Dans la tradition du Théravada, cette expérience du Nibbana est possible même de notre vivant.

 

Dans le fond, discuter au sujet du Dhamma est insuffisant pour donner un enseignement à quelqu'un, mais il faut faire sa propre expérience de dukkha (la souffrance), comme c'est mentionné dans le Dhammapada, verset 277 : « éphémères sont toutes les choses conditionnées. Quand on discerne ce fait avec sagesse, on en est dégoûté au point d'en être malade. C'est cela la voie de la pureté. » Seule l'expérience de la douleur et du chagrin dans ce monde, c'est-à-dire quand on perd un être cher, nous fait renoncer au monde, et suivre la voie enseignée par le Bouddha, du fait du dégoût éprouvé.

 

Lorsque Devadatta tomba dans l'égarement et devint un ennemi du Bouddha, ce dernier déclara que la raison en était que Devadatta avait interrompu en milieu de chemin sa progression sur la Voie.

 

Quand on lui a posé la question sur la nature des devoirs d'un moine, le Bouddha a répondu qu'il en existe deux : exposer le Dhamma et la méditation. Un moine doit, soit exposer le Dhamma,  soit s'exercer vigoureusement à la méditation afin de se libérer du Samsara. Il n'est pas pratique ni possible de faire les deux choses en même temps avec un certain niveau de succès. Dans l'Ariyavasa Sutta, le Bouddha a énuméré dix Ariyavasa dhammas, que tous les Ariyas (du passé, du présent et du futur) pratiquent, l'un d'eux étant le renoncement à toutes les affaires mondaines. À savoir, si quelqu'un espère cueillir le Fruit de la Voie, il doit seulement focaliser sa concentration sur lui, à l'exclusion de toute autre chose. Le Bouddha encourageait constamment ses disciples à s'efforcer   de se libérer de la souffrance en menant une vie la plus simple possible : errante et sans domicile. Et, après qu'ils auront atteint le Fruit de la vie sainte, ils prêcheront le Dhamma.

 

Le Bouddha avait près de lui un prêcheur de Dhamma très célèbre, du nom de Pothila. Ayant réalisé qu'il n'avait pas progressé dans la vie religieuse afin de se libérer du Samsara, le Bouddha  s'adressa à lui en le qualifiant de « tête vide » chaque fois qu'il le rencontrait. Mais progressivement, Pothila commença à réaliser que le Bouddha souhaitait qu'il se rendît compte qu'en dépit des nombreuses années à prêcher le Dhamma, il était resté « tête vide » parce qu'il n'avait pas développé son esprit par la méditation. Pothila cessa donc de prêcher et il partit au loin dans la forêt afin de méditer.

 

Il y eut un autre événement relaté dans le commentaire du Dhammapada concernant deux bons amis devenus moines. Le plus jeune d'entre eux choisit la voie de prêches du Dhamma, tandis que l'autre se retira dans une vie ascétique et dans la méditation. Plusieurs années après, le plus jeune des deux était devenu un illustre prêcheur du Dhamma avec pour disciples cinq cents personnes. Il était constamment invité dans dix-huit monastères. Le second moine avait pour sa part réalisé l'état d'Arahant. Quand le premier des deux moines rendit visite au Bouddha et à son ami, le Bouddha adressa sa louange à l'Arahant et non au prêcheur du Dhamma. Quand les disciples de ce dernier demandèrent au Bouddha la raison de cela, le Bouddha compara le prêcheur du Dhamma à un homme embauché pour garder les vaches, et l'Arahant à un homme riche qui possède les vaches et qui profite sans difficulté des cinq produits des vaches : lait, beurre, fromage, yaourt, ghee, dans ses loisirs.

 

De nos jours, nombreux sont (moines, nonnes et laïcs) ceux qui pensent qu'ils cheminent sur la voie du Bodhisattva simplement parce qu'ils prêchent le Dhamma. Afin d'essayer d'enseigner aux autres    comment se libérer du Samsara, alors qu'ils n'en sont pas eux-mêmes libérés. Ils ressemblent sur ce point à une personne qui s'est noyée dans une eau profonde, et qui n'est pas capable de nager et de tenter de sauver les autres. Nombreux sont ceux qui parlent du Dhamma, mais très peu le pratiquent. La célèbre histoire du « Moine-du-nid d'oiseau » en Chine illustre ce fait : une fois, un haut officiel du gouvernement rendit visite à ce moine qui se trouvait sur un arbre et il lui demanda de lui enseigner le Dhamma. Le moine lui dit : « faites du bien, évitez de faire le mal et purifiez votre esprit ». L'officiel exprima une déception à l'égard de ce Dhamma qu'il trouva simpliste, et il dit « même un enfant de trois ans sait cela. » Le vieux moine lui répondit alors : « Un enfant de trois ans peut le savoir, mais il est possible qu'un homme de quatre-vingts ans ne puisse être capable de le pratiquer. » Quelqu'un qui est incapable de pratiquer est comparable à un amateur de jeux de hasard ou à un alcoolique qui donne des conseils aux autres de ne pas pratiquer de jeux de hasard ou de ne pas consommer d'alcool tout bonnement.

 

Dans le Nagaravideyya Sutta, le Bouddha déclare aux laïcs que seuls les moines qui ont éliminé en eux la concupiscence, la haine et l'illusion, ou qui cheminent sur la voie qui les élimine, sont dignes de respect et de vénération. Quand les laïcs demandent comment ils pourraient reconnaître quels moines ont éliminé en eux concupiscence, haine et illusion, le Bouddha dit que ce sont ceux qui résident dans des lieux isolés et calmes, à l'abri des spectacles, des sons, des odeurs et des goûts et des sensations tactiles désirables qui les charment et les subjuguent, à savoir ceux qui ont coupé court à tout cela.

 

Dans le Lohikka Sutta, le Bouddha dit : « Il y a trois sortes d'enseignants dans le monde, Lohikka, qui méritent le blâme. Et, quiconque blâmerait l'un d'entre eux, son blâme est justifié, conformément aux faits. Ces trois sortes d'enseignants sont :
En premier lieu, Lohikka, il y a des enseignants qui n'ont pas atteint le but qui est l'état de Samana, et pour lequel ils ont quitté la maison, pour mener une vie d'errante. Sans avoir atteint ce stade, ces maîtres enseignent le Dhamma en disant à ceux qui les écoutent : « Ceci est bon pour vous ; cela vous rendra heureux ». Ces derniers n'en tiennent pas compte, et passent outre l'enseignement de tels maîtres. Un maître de cette catégorie doit être réprimandé, à juste titre, car il ne tient pas compte de ce fait ». Le Bouddha, à ces maîtres, adresse la remarque suivante, en disant : « Vous êtes comme quelqu'un qui fait des avances à une femme et elle ne cesse de le repousser, ou comme quelqu’un qui embrasse une femme qui se détourne de lui. Ainsi dis-je, c'est votre concupiscence qui vous pousse à vous poser comme maître des hommes, mais personne ne vous fera confiance ni ne tiendra compte de votre enseignement. Comment donc agira-t-on pour autrui ? Ce cas de figure, Lohikka, se rapporte à la première catégorie de maîtres méritant le blâme. Et, quiconque blâmera un tel maître, son attitude est justifiée et correspond à une réaction adéquate.

 

En deuxième lieu, Lohikka, il existe un type d'enseignant qui n'a pas lui-même atteint le but de l'état de Samana pour lequel il avait quitté sa maison et mené la vie de sans domicile. Bien qu'il n'ait pas atteint le but sollicité, il enseigne le Dhamma à des auditeurs en ces termes : « cela est bon pour vous, et cela vous rendra heureux ». Ses auditeurs deviennent obtus à écouter ses paroles dépourvues de toute autonomie en suivant les paroles du « maître ». Un tel maître mérite la réprimande. En outre, le Bouddha poursuit, à l'adresse de tels maîtres, par les remarques suivantes : « Vous êtes tel un homme qui néglige son champ et cherche à sarcler le champ de son voisin. Par conséquent, je considère cela comme un effet de concupiscence consistant à chercher à enseigner autrui sans avoir été enseigné soi-même. Que devrait faire un homme pour un autre ? Cela, Lohikka, constitue la deuxième forme d'enseignant qui mérite le blâme dans ce monde.

 

En outre, Lohikka, en troisième lieu, il existe un type d'enseignant qui a lui-même atteint le but, l'état de Samana pour lequel il a quitté sa maison et mené une vie de sans domicile. Ayant lui-même réalisé ce but, il enseigne le Dhamma à des auditeurs en ces termes : « cela est bon pour vous. Cela vous rendra heureux. Mais ses auditeurs ne lui prêtent pas l'oreille ni ne deviennent affermis dans l'instruction ; ils poursuivent leur voie habituelle en ne tenant pas compte de l'enseignement du maître. Un tel maître doit être réprimandé pour ses agissements, et il faut dire à l'adresse d'un tel maître : « vous êtes tel un homme qui est tombé dans un engrenage, et qui se lève pour tomber dans un nouveau ». Par conséquent, je dirais que c'est de la concupiscence de chercher à enseigner alors que l'on n'a pas acquis l'aptitude à enseigner. Que devrait faire un homme pour un autre ? Voilà, Lohikka, la troisième sorte d'enseignant méritant une réprimande dans le monde ».

 

Dans le Itivuttaka Sutta, le Bouddha a clairement spécifié quelles sont les trois sortes de personnes qui apparaissent dans le monde pour le bien d'une multitude de personnes par compassion à l'égard des autres pour le bien d'autrui, pour la béatitude des devas (les entités célestes) et des êtres humains. Que sont-elles ? Le Tathagata apparaît dans le monde, en tant qu'Arahant, illuminé... (2) Il est question de disciple du même maître qui est Arahant... (3) Puis, Moines, un disciple-étudiant du même maître, qui chemine sur la Voie, qui a beaucoup écouté, observe les règles et la bonne conduite... » Cela montre très clairement qu'outre le Bouddha, ses disciples Arahants constituent la deuxième catégorie d'êtres utiles pour le monde. S'ils étaient égoïstes comme le proclame le Mahayana dans ses enseignements, ils n'atteindraient même pas la première étape du fruit atteinte par le Sotapanna puisque celui-ci a éliminé le faux ego.
 
La troisième catégorie d'êtres, qui sont effectivement utiles pour le monde, ont renoncé avec sincérité, cheminent sur la voie et inspirent les autres à suivre leur exemple stimulant, comme on dit « l'action parle plus fort que les mots ». Bien que le Bouddha ait rejeté les pratiques ascétiques infructueuses adoptées par des sectes superficielles qui limitent leur alimentation à une seule et même catégorie, ainsi que leurs habits, et imitent les animaux dans leur quotidien, ou encore s'abstiennent de manger...Mais il loue les treize sortes de pratiques ascétiques adoptées par son célèbre disciple Mahakassapa (comme s'habiller de chiffons, manger un seul repas par jour, habiter dans un lieu isolé, etc.). Un moine qui pratique ces austérités ascétiques contribue à la pérennité de la religion bouddhique dans le monde. La « Voie du Milieu » enseignée par le Bouddha à ses moines n'est pas très différente de ces pratiques ascétiques, car elle inclut la prise d'un seul repas par jour, la quête de nourriture quotidienne, la vie dans la pauvreté et la non-possession de plus de trois robes.

 

 

 

 

 

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