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 Samadhi Bouddha Statue - Anuradhapura - Sri Lanka  IV-Ve Siècle

N°11

D’après le Bouddha et son Message… Passé, Présent et Futur

Par Bhikkhu Bodhi

 

 

Le Bouddha explique que les ressorts cachés de la souffrance humaine, à la fois dans les domaines personnels et sociaux de nos vies, sont trois facteurs mentaux appelés les racines malsaines, nommément, l’avidité, la haine et l’illusion.

 

Le Bouddha déclare que parmi toutes les choses dans le monde, celle qui exerce l’influence la plus puissante que ce soit pour le bien ou pour le mal, c’est l’esprit.

 

Je souhaite discuter, très brièvement, de la pertinence des enseignements du Bouddha pour notre ère moderne, car nous nous tenons au seuil d’un siècle et d’un millénaire nouveaux. Ce que je trouve particulièrement intéressant à noter, c’est que le Bouddhisme peut procurer des introspections et des pratiques utiles au travers d’un large éventail de disciplines – depuis la philosophie et la psychologie jusqu’aux soins médicaux et l’écologie – sans mentionner ceux qui utilisent ses ressources pour adopter le Bouddhisme comme une religion à part entière. Ici je veux me focaliser seulement sur les implications de principes bouddhiques pour le développement d’une politique de la sphère publique.
Malgré les progrès considérables réalisés par le genre humain dans le domaine des sciences et des technologies, progrès qui ont amélioré de façon drastique les conditions de vie dans bien des domaines, nous nous trouvons toujours confrontés à un problème global qui défie nos tentatives les plus déterminées de le résoudre dans des cadres établis.

 

Ces problèmes incluent les tensions régionales explosives à caractère ethnique et religieux; la prolifération incessante des armes nucléaires; le mépris des droits de l’homme; le fossé élargi entre riches et pauvres; les trafics de drogues internationaux, de femmes et d’enfants; l’épuisement des ressources naturelles de la terre; et le dépouillement de l’environnement. Dans une perspective bouddhique, ce qui est le plus frappant quand nous réfléchissons à ces problèmes dans leur totalité, c’est leur caractère essentiellement symptomatique. Sous leur diversité extérieure apparente, ils semblent être de nombreuses manifestations d’une racine commune, d’une malignité spirituelle profonde et cachée infectant notre corps social. Cette racine commune pourrait être définie brièvement comme l’insistance obstinée à placer des intérêts personnels à court terme (incluant les intérêts des groupes sociaux et ethniques auxquels nous appartenons) au-dessus du bien commun supérieur de la communauté humaine de plus grande échelle. La multitude des maux sociaux qui nous affligent ne saurait être comptabilisée sans que soient scrutées les puissantes pulsions humaines qui y sont sous-jacentes. Trop souvent, ces pulsions nous précipitent à la poursuite de buts diviseurs, et limités même quand au final ces poursuites sont autodestructrices.

 

L’enseignement du Bouddha nous offre deux outils précieux pour nous aider à sortir de cet imbroglio. Un de ces outils est l’analyse sans complaisance des ressorts psychologiques de la souffrance humaine. L’autre est le sentier précisément articulé d’entraînement moral et mental qu’il présente comme une solution. Le Bouddha explique que les ressorts cachés de la souffrance humaine, à la fois dans les domaines personnels et sociaux de nos vies, sont trois facteurs mentaux appelés les racines malsaines, nommément, l’avidité, la haine et l’illusion. Les enseignements bouddhiques traditionnels dépeignent ces racines malsaines comme les causes des souffrances personnelles, mais en adoptant une vue élargie, nous pouvons les voir également comme la source des souffrances sociales, économiques et politiques. Au travers de la prévalence de l’avidité, le monde est transformé en un marché global où les peuples sont réduits à un statut de consommateurs, même de produits, et les ressources vitales de notre planète sont pillées sans aucune considération pour les générations futures.
Au travers de la prévalence de la haine, les différences ethniques et nationales deviennent le terreau de la suspicion et des inimitiés, explosant en violences et cycles sans fin de vengeances. L’illusion renforce les deux autres racines malsaines par des fausses croyances et des idéologies politiques prônées pour justifier des politiques motivées par l’avidité et la haine.

 

Tandis que des changements dans les structures sociales et les politiques sont certainement nécessaires pour contrecarrer les nombreuses formes de violences et d’injustices répandues à travers le monde d’aujourd’hui, de tels changements ne sont pas suffisants par eux-mêmes pour inaugurer une ère de paix véritable et de stabilité sociale. En parlant dans une perspective bouddhique, je pourrais dire que ce qui est nécessaire par-dessus tout, c’est un nouveau mode de perception, une conscience universelle qui peut nous permettre de regarder les autres comme fondamentalement non-différents de nous-mêmes. Aussi difficile que cela puisse paraître, nous devons apprendre à nous détacher de la voix insistante des intérêts personnels et de nous élever vers une perspective universelle grâce à laquelle le bien-être de tous apparaît aussi important que notre bien-être propre. Cela signifie que nous devons abandonner les attitudes égocentriques et ethnocentriques auxquelles nous sommes voués présentement et adopter plutôt une éthique « univers-centrique » qui donne la priorité au bien-être de tous.

 

Un telle éthique univers-centrique devrait être façonnée selon trois lignes directrices, les antidotes à trois racines malsaines:

 

(1) Nous devons vaincre l’avidité d’exploitation grâce à la générosité à l’échelle mondiale, l’entre-aide, et la coopération.

 

(2) Nous devons remplacer la haine et l’esprit de vengeance par des attitudes fondées sur la gentillesse, la tolérance et le pardon, et

 

(3) Nous devons reconnaître que notre monde est une totalité interdépendante et entrelacée de sorte que tout comportement irresponsable dans n’importe quelle partie du monde a des répercussions potentiellement nuisibles n’importe où. Ces directives, extraites des enseignements du Bouddha, peuvent constituer le noyau d’une éthique planétaire à laquelle les grandes traditions spirituelles du monde peuvent souscrire aisément.

 

Sous-jacentes au contenu spécifique d’une éthique planétaire, nous pouvons cultiver certaines tendances dans nos cœurs, que nous devons incarner à la fois dans nos vies personnelles et par une politique de la vie sociale. Les plus précieuses d’entre elles sont l’amour bienveillant et la compassion (maitri etkaruna). Par l’amour bienveillant, nous reconnaissons que de la même manière que chacun d’entre nous souhaite vivre une vie heureuse et paisible, nos semblables souhaitent aussi vivre une vie heureuse et paisible. A travers la compassion, nous réalisons que de la même manière que nous ressentons de l’aversion envers la douleur et la souffrance, les autres aussi ressentent de l’aversion envers la douleur et la souffrance. Lorsque nous avons compris ce cœur de sentiments communs que nous partageons avec n’importe lequel de nos semblables, nous traiterons les autres avec la même gentillesse et les mêmes soins que nous aimerions qu’ils nous traitent. Ceci doit s’appliquer au niveau communautaire au même titre qu’au niveau de nos relations personnelles. Nous devons apprendre à voir les autres communautés comme essentiellement similaires à la nôtre, toutes ayant droit aux mêmes prestations que celles que nous souhaitons pour le groupe auquel nous appartenons.

 

Tout ceci, qui fait appel à une éthique « univers-centrique », ne naît pas d’un idéalisme éthique ou de vœux pieux, mais s’appuie sur des fondements pragmatiques solides. Sur le long terme, poursuivre nos intérêts personnels étroits dans des cercles toujours grandissants ne peut que saper nos intérêts réels sur le long terme; car en adoptant une telle approche nous contribuons à la désintégration du corps social et la destruction des écosystèmes, en sciant ainsi la branche sur laquelle nous nous asseyons. Subordonner les intérêts personnels étroits au bien commun consiste, au final, à promouvoir notre véritable bien propre, qui dépend tant de l’harmonie sociale, de la justice économique et d’un environnement durable.

 

Le Bouddha déclare que parmi toutes les choses dans le monde, celle qui exerce l’influence la plus puissante sur le bien et le mal, c’est l’esprit. Une paix authentique entre peuples et nations se construit par la paix et la bonne volonté dans le cœur des êtres humains. Une telle paix ne saurait se construire seulement par le progrès matériel, le développement économique et l’innovation technologique, mais elle exige un développement moral et mental. C’est seulement en nous transformant à l’intérieur de nous-mêmes que nous pouvons transformer notre monde dans les directions de la paix et de l’amitié. Cela signifie que pour que la race humaine vive en paix sur cette planète « rétrécie », le défi inévitable qui nous attend consiste à nous comprendre et à nous maîtriser nous-mêmes.

 

C’est ici que l’enseignement du Bouddha devient spécifiquement contemporain, même pour ceux qui ne sont pas préparés à embrasser tout l’ensemble de la foi religieuse bouddhique et la doctrine de Bouddha. Dans son diagnostic des souillures du mental comme la cause sous-jacente à la souffrance humaine, l’enseignement nous montre les racines cachées de nos problèmes personnels et collectifs. En proposant un sentier pragmatique d’entraînement moral et mental, l’enseignement nous offre un remède efficace pour résoudre les problèmes du monde au lieu où ils nous sont directement accessibles: dans nos propres esprits. Comme nous entrons dans le nouveau millénaire, l’enseignement du Bouddha nous donne à tous, qu’importent nos convictions religieuses, des directives dont nous avons besoin afin de faire de notre monde un endroit plus paisible et agréable à vivre.

 

 

 

 

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