Centre Bouddhique International

le Bourget - France

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Revue 2020

#4 - Les pensées s'arrêtent-elles jamais ? 

 

Bhante  Gunaratana Maha Thera

 

 

 

 

     Le Bouddha conseilla aux bhikkhus, “Bhikkhus, quand vous êtes réunis ensemble vous devriez faire une des deux choses suivantes: avoir des discussions sur le Dhamma ou observer le silence noble.”

 

     Le silence noble est l'état du mental où il n'y a plus de pensées. L'esprit est totalement silencieux. Le flot des pensées peut être arrêté si nous entraînons notre esprit grâce à une pratique méditative correcte.

 

     Un méditant devrait commencer  la pratique en dirigeant son attention de manière indivisible et ininterrompue sur un objet unique sans verbaliser l'expérience dans le mental. Quand vous verbalisez et conceptualisez les choses, vous interrompez votre attention d'une part et de l'autre vous perpétuez vos pensées.

 

     Quand vous verbalisez, vous ajoutez de plus en plus de concepts ou d'idées. La réalité n'est pas un mot ou un verbe. La réalité est ce que vous expérimentez. Quand vous expérimentez des douleurs et des brûlures ou du plaisir et du bonheur au cours de votre méditation, vous notez directement l'expérience telle qu'elle est exactement. Vous n'avez pas besoin d'un pont conceptuel entre votre expérience et la connaissance directe. Quand vous avez faim, vous expérimentez la faim sans dire: “J'ai faim, j'ai faim.”

 

     Vous avez besoin de noms propres et de verbes seulement pour communiquer votre expérience. Quand vous méditez vous observez le silence total, sans essayer de parler à quiconque de votre expérience. Vous devriez vous connaître vous-mêmes exactement tel que vous êtes. Vous devriez  vous sentir vous-même exactement tel que vous êtes.

 

     Depuis l'âge de bébé jusqu'à l'université, nous apprenons à utiliser des mots, des concepts et des idées afin que les autres nous comprennent. Mais pendant la méditation, vous n'essayez pas d'exprimer votre expérience à qui que ce soit. En entraînant votre esprit à demeurer silencieux, vous le rendez silencieux. Si vous rajoutez plus de mots à l'esprit, l'esprit demeure simplement agité.

 

     Nous avons tous remarqué des gens assis ou marchant dans la rue et monologuant avec eux-mêmes. Ils ne peuvent réduire leur esprit au silence. C'est un exemple extrême du fait d'être incapable de calmer les pensées. Mais dans notre voie propre, nous luttons avec ceci dans notre vie quotidienne et dans la méditation. Cela revient à cela; à moins que vous essayiez, vous ne pouvez jamais arrêter tout ce flot de pensées. Vous calmez les pensées seulement quand vous êtes déterminé à le faire.

 

     Tournez votre attention totale vers ce que vous expérimentez  au travers des six sens sans étiqueter ce qui apparaît. Il existe certaines choses que vous expérimentez et pour lesquelles les mots ne sont pas nécessaires. Vous les connaissez simplement. Votre esprit les connaît. Vous demeurez avec cette connaissance. Quand vous avez froid, il est habituel et normal de vous dire à vous-mêmes, “Oh, il fait froid.” Quand vous avez chaud, vous pensez automatiquement, “Oh, il fait chaud.” Tournez simplement votre attention vers le froid que vous sentez sans cette pensée additionnelle. Ressentez simplement la chaleur sans en verbaliser l'expérience. Quand vous vous souvenez d'avoir visité un lieu, ou d'avoir parlé à quelqu'un, ou d'avoir mangé une glace ou d'avoir tenu quelqu'un par la main, devenez simplement conscient de ces objets de votre mémoire.

 

     Vous avez besoin de développer une concentration totale afin d'arrêter le flot de vos pensées. Vous faites cela en tourner totalement votre attention vers un objet à la fois. Si vous commencez la pratique en focalisant votre esprit exclusivement sur un objet, vous conditionnez progressivement votre esprit afin de subjuguer vos pensées discursives en soutenant un contact initial avec l'objet.

 

     Quand vous écoutez les battements de votre cœur, vous n'avez pas besoin de concepts pour sentir cette manifestation subtile. Pareillement, pendant la méditation, tandis que vous dirigez totalement votre attention vers les inspirations et les expirations, vous pouvez noter le commencement, le milieu et le fin de chaque inhalation et de chaque exhalation. Vous pouvez remarquer la brève pause existante entre les inhalations et les exhalations. Vous pouvez remarquer ces manifestations naturelles de votre respiration si vous dirigez totalement votre attention vers elles.

 

     L'esprit se meut si rapidement que nous pouvons quand même l'entraîner à remarquer ces évènements exactement au moment où ils surviennent car ils se produisent en succession. Si vous conceptualisez ces manifestations alors vous serez incapable de les noter. Au lieu de cela, vous vous arrêtez à des mots et vous manquez l'expérience réelle et directe. Vous n'avez pas à dire, “Ceci est le commencement de l'inhalation,” ou “Ceci est le milieu” ou encore « Ceci est la fin », remarquez simplement ces stades de manifestation. Vous n'avez pas besoin de pensée pour les remarquer. Tout ce dont vous avez besoin c'est d'attention.

 

     Nous ne devenons jamais semblable à un végétal quand nous arrêtons le flot de nos pensées. Un esprit calme est réceptif à l'introspection intuitive. Et vous pouvez arrêter le processus des pensées en entraînant systématiquement votre esprit.

 

     J'utilise la phrase “calmant l'esprit” ou “réduisant l'esprit au silence” pour signifier le fait de ne pas avoir de pensées à l'esprit, mais cela ne signifie pas ralentir l'esprit comme par exemple ralentir le métabolisme du corps durant l'hibernation. Cela signifie simplement ne pas avoir d'habitude de production de pensées dans l'esprit.

 

     Le cerveau ne manufacture pas les pensées à moins que nous le stimulions avec des verbalisations habituelles. Quand nous nous entraînons à arrêter de verbaliser par une pratique constante, le cerveau peut expérimenter les choses telles qu'elles sont. En établissant un silence mental, nous pouvons expérimenter une paix réelle. Aussi longtemps que diverses formes de pensées agitent le cerveau, nous n'expérimentons pas 100 pour cent de paix.

 

     La paix n'est pas la pensée, pas un concept, c'est une expérience non-verbale. Un être peut rester dans cet état paisible jusqu'à sept jours. Mais avant que quelqu'un n'atteigne un état mental aussi paisible, il devrait s'entraîner progressivement à ralentir le flot des pensées. Une fois qu'elles sont ralenties, les pensées fanent et plus de pensées nouvelles sont nourries par le cerveau.

 

     Même quand nous ne méditons pas, nous expérimentons profondément de nombreuses choses que souvent nous ne pouvons exprimer par des mots. Nous pourrions essayer de trouver un mot ou un verbe pour cette expérience. Nous pourrions l'appeler l'intuition. Mais les intuitions pourraient surgir sans qu'aucun mot ou concept ne leur soit associé. Vous pouvez aussi écouter des sons sans qu'aucun mot n'apparaisse dans votre esprit. Il est dit que la meilleure manière d'apprécier la musique c'est d'écouter de la musique. Tandis que vous écoutez de la musique, vous écoutez le son sans essayer de verbaliser le son. Considérez par exemple comment vous écoutez le chant d'un oiseau; vous ne verbalisez pas le son. Vous pourriez dire “Le robin chante comme ça...” mais c'est votre imagination.

 

     Ceci signifie que hormis dans des états de méditation vous pouvez expérimenter de nombreuses choses très subtiles en dirigeant simplement votre attention totale vers vos sens. La plupart du temps, nous verbalisons des choses après les avoir expérimentées, pas au moment où nous les expérimentons. Mais quand vous tournez totalement votre attention non verbale vers quelque chose, vous développez de la concentration, ce qui n'est pas possible quand vous verbalisez. Les mots stimulent l'esprit. Par conséquent l'esprit continue à produire de plus en plus de mots et nous les exprimons par des pensées. Par une attention non verbale, vous pouvez minimiser le nombre de mots que vous utilisez. Quand les mots sont minimisés, les pensées sont minimisées. Finalement, ce processus rend l'esprit libre de pensées. Mais si vous ne minimisez pas les mots, vous ne pouvez pas  libérer l'esprit des pensées.

 

     Quand vous expérimentez quelque chose, si vous n'essayez pas de traduire vos expériences par des mots vous ne faites simplement que l'expérience, aucune pensée n'apparaît. Les visions, les sons, les odeurs, les goûts, les expériences tactiles, ils peuvent tous être expérimentés directement sans les mots. Quand vous utilisez des mots, vous bloquez votre expérience directe des objets sensoriels.

 

     Après tout, ce ne sont pas les mots qui vous font expérimenter ce que vous expérimentez. Supposez que la couleur blanche apparaisse sous vos yeux. La blancheur se reflète dans vos yeux. L'esprit la connaît telle qu'elle est. Seulement quand vous voulez exprimer ce que vous avez vu alors vous avez réellement besoin de mots. Ceci dit la blancheur n'est pas un mot, mais ce qu'elle est. La noirceur n'est pas un mot, mais ce qu'elle est. Ceci est vrai aussi pour ce qui est sucré, amer, aigre, la dureté, et toutes les choses que vous expérimentez.

 

     Le cerveau ne fabrique pas des pensées à partir de rien. Il doit être nourri de quelque chose afin de l'utiliser comme matériel de base afin de fabriquer des pensées. Le matériel de base est ce dont vous l'avez nourri dans le passé. Si vous ne l'avez pas nourri de pensées, si vous l'avez entraîné en évitant les verbalisations, le cerveau ne peut fabriquer des pensées à partir d'un vide.

 

 

 

                                                                                                           ***

 

 

 Samadhi Bouddha Statue - Anuradhapura - Sri Lanka  IV-Ve Siècle